Vapeurs Annuelles n° 1515 paru le 19 août 2005

Vitesse et précipitations
par Eugène Lacroute

LES PERILS DE LA SOCIETE DES LOISIRS

Depuis la fin de la randonnée 2005, les analyses ont mis en évidence un fait troublant : les 13 participants au périple étaient des «citoyens ordinaires». Tous étaient de nationalité française, apparemment bien intégrés dans la société, et rien n'aurait pu donner à penser qu'ils étaient prêts à prendre des risques inconsidérés. Et pourtant, ils se sont lancés dans une entreprise qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques.

L'entreprise dont il est question ici n'a que peu à voir avec l'activité économique. Pour un chef d'entreprise en effet, prévoir est presque une obsession. Pour un homme politique, et plus encore pour un gouvernement, il devrait en être de même: point de salut et donc d'action à long terme sans anticipation. Ce devrait être aussi une préoccupation de chacun des Français. Malheureusement, les gouvernements qui se succèdent depuis de nombreuses années ont oublié cette évidence. Leur seul souci est de durer sans trop faire bouger les choses. Le conjoncturel s’impose face au structurel, souvent par manque de courage et de souci de l’intérêt général. La surenchère sociale n’a pas empêché l’échec social, elle l’a même plutôt favorisé avec la calamité des 35 heures. Les résultats ne se sont pas fait attendre : les réformes profondes et essentielles n’ont pas été réalisées – ou trop partiellement –, les déficits publics se sont accrus, les dépenses de santé ont explosé et le chômage s’est installé durablement dans toutes nos régions.

Un jeu sans fin qui a conduit le merveilleux pays qui est le nôtre à un réel déclin dans l’absolu et surtout par rapport aux autres grandes nations. Le manque de prévoyance de nos dirigeants s’est communiquée à l’ensemble du pays, recroquevillé sur ses acquis, rongé par la peur du lendemain en donnant naissance peu à peu à une “société de la peur”, inconsciente du désastre qu'elle contribue à préparer. L’exemple le plus récent : le déficit abyssal de la Sécurité Sociale qu'a pointé du doigt la Cour des Comptes. Malgré les réformes mises en oeuvre, «cautère sur une jambe de bois» comme le dit si bien Philippe de Villiers, les dépenses ont continué de croitre tandis que les recettes, tirées vers le bas par le chômage, se réduisaient comme peau de chagrin. Les exemples abondent de comportements irresponsables d'assurés sociaux pour qui n'existent que des droits mais jamais de devoirs: consommation abusive de médicaments, visites multiples chez le médecin, comportements à risque sur les pistes de ski ou lors de la pratique d'activités pseudo-sportives... Ce qui nous ramène à l'équipée dont il est question ici et à l'impéritie de ses organisateurs.

A priori, la randonnée à vélo est un exercice anodin, plutôt même bénéfique s'il est pratiqué dans des conditions normales. Randonner à vélo dans les Vosges sort déjà de la catégorie des exercices anodins. On a vu l'été dernier à quels efforts étaient soumis les cyclistes du Tour de France lors de l'ascension du Grand Ballon, point culminant du massif. Par effet de mimétisme sans doute, les organisateurs de la randonnée s'étaient fixé un objectif de même ampleur: le Ballon d'Alsace. Pour ce que nous en savons, ils ne semblent pas y avoir été préparé d'une quelconque façon. Randonner à vélo dans les Vosges sous la pluie, dans le brouillard, avec des températures de 10 à 12° dans le meilleur des cas, cela relève non plus de l'exercice bénéfique mais bel et bien de l'inconscience. Et cela témoigne du climat délétère qui règne en France. Pendant que les pouvoirs publics multiplient les “ingérences” dans l’économie de marché (rappelez-vous les discussions sur les prix dans la grande distribution), dans l’espoir de démontrer aux Français leur réel souci de justice sociale, certains individus profitent de la solidarité nationale en mettant délibérément leur santé en danger.

En négligeant les règles les plus élémentaires de sécurité, les randonneurs du 15 août misaient bien sûr sur la disponibilité des services de soins, de la Gendarmerie, des psychologues urgentistes, au cas où un accident serait survenu. Et aussi au cas où ils reviendraient de leur équipée avec une bronchite ou une entorse. N'est-ce pas là qu'il faut rechercher la fameuse “fracture sociale”, avec d'un côté un gouvernement qui ne prend pas les mesures aujourd'hui indispensables, et de l'autre des Français qui refusent de voir les conséquences de leur individualisme ?

Eugène Lacroute
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